Les municipales de 1945, un tournant historique pour le droit de vote des femmes en France

Actualité | Publié le 25/04/2025

En 1945, les Françaises votent pour la première fois de leur histoire lors des élections municipales. Un moment clé dans la conquête des droits politiques des femmes, marquant la fin d’un long combat pour l’égalité civique. Retour sur ce scrutin historique sur le territoire de l'ancienne Seine-et-Oise.

  • Le 21 avril 1944 le Comité français de libération national, qui deviendra quelques semaines plus tard le Gouvernement provisoire de la République française, promulgue à Alger une ordonnance portant sur l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération. Ce texte accorde notamment, par l'article 17, le droit de vote aux femmes ainsi que leur éligibilité : "les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes". Il s’agit ici de la concrétisation d’une longue lutte de plus de 150 ans qui trouve ses racines directement à la suite de la Révolution française et durant tout le XIXème siècle.

    Il faut donc attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et la libération de la majeure partie de notre pays pour voir s’appliquer ces droits lors des premières élections organisées à la suite du conflit, à savoir les élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945 où les femmes furent appelées à se présenter à l’élection et à voter pour la première fois.

  • Affiche de l'arrêté portant convocation des électeurs et électrices, Archives communales de Beaumont-sur-Oise, cote 1K15

  • Au terme de ces journées, la participation féminine est importante, souvent même supérieure à celle des hommes. De nombreux hommes, inscrits sur les listes, sont toujours bloqués en Allemagne.

    Sur le territoire de la Seine-et-Oise, plusieurs femmes sont élues à la tête de leur commune, deviennent adjointes ou conseillères municipales.

    En voici quelques exemples :

  • Photographie de Marie Roche, site internet du Sénat

    Marie Roche, résistante et militante communiste, est élue maire de Lisses en mai 1945. Madame Roche fut également conseillère générale du canton de Corbeil-Essonnes de 1945 à 1949 et sénatrice de Seine-et-Oise de 1946 à 1952.

    Au cours de ses mandats sénatoriaux, elle fut membre de plusieurs commissions (affaires économiques, famille, finances, population et santé), intervenant fréquemment dans les débats.

  • A Montgeron, Josèphe Jacquiot, figure locale de la Résistance, est élue maire à la tête d'une liste centriste. Elle est à l'origine de la création du lycée local en 1946, premier lycée mixte et premier de la banlieue parisienne. Elle crée également la Société d’histoire locale, dont elle fut la première présidente.

    Lors des élections municipales d'octobre 1947, sa liste n'obtient que la troisième place et elle perd son mandat de maire.

    Photographie de Josèphe Jacquiot, site internet du journal Le Parisien
  • Photographie d’Eugénie Duvernois, site internet Le maitron

    Résistante déportée et militante communiste, Eugénie Duvernois est élue deuxième adjointe à Vigneux-sur-Seine en 1945, puis est devenue maire en août 1946, succédant à Henri Charon, décédé en déportation. Il était assez fréquent lors de ces élections que des candidats soient encore prisonniers, déportés ou sous les drapeaux. Battue lors des élections municipales de 1947 et 1953, elle fut cependant élue députée de Seine-et-Oise le 10 novembre 1946 et conserva son mandat jusqu’en 1958, intervenant régulièrement sur les questions sociales, les problèmes de ravitaillement et la défense des déportés politiques. Elle était décorée de la Médaille de la Résistance et de la Croix du combattant volontaire de la Résistance.

  • Dans le nord de la Seine-et-Oise, à Beaumont-sur-Oise, commune d’environ 5 400 habitants à l’époque, le nombre de conseillers municipaux à nommer étaient de 23.

    Deux listes se sont présentées aux élections : la liste d’Administration municipale (SFIO, groupe Libération Nord, indépendants) et la liste d’Union Républicaine et Antifasciste (Union des femmes françaises, Vieux travailleurs, Front national, CGT, Parti communiste français). Chaque liste comptait un nombre égal d’hommes et de femmes, soit 17 hommes et 6 femmes.

    Au total, 5 femmes sont élues et deviennent conseillères municipales : Léontine Nivet, Andrée Euvrard, Henriette Duval, Jeanne Jouron et Annette Theureaux. Elles exerçaient des métiers tels que commerçante, femme de ménage, assistante sociale, blanchisseuse ou bien étaient sans profession. Elles se définissaient comme indépendantes politiquement ou se réclamaient de la Résistance. Telle Mme Duval qui se présente comme membre du groupe Libération Nord. Cette personnalité beaumontoise fut membre du Comité local de Libération, ses actes lui valurent d’être décorée de la Croix de Guerre 1939-1945 et de la Croix du Combattant.

  • En 1947, seules trois femmes figureront sur la liste socialiste et républicaine d'Administration municipale (liste de la majorité sortante) dont seulement une conseillère sortante, en l’occurrence Mme Theureaux.

    A Verneuil-sur-Seine, trois femmes sont élues lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945, inscrites sur la liste des « Républicains de la Libération et d’Union nationale » menée par François Pons (SFIO) qui est élu maire. Il s’agit de Marguerite Coeuillet (sans profession), de Denise Déjardin (sans profession) et de Marie Leroux (institutrice). Elles font respectivement partie de la commission des fêtes, de la commission Prisonniers et déportés et de la commission scolaire.

    • Bulletin de vote des élections municipales du 29 avril 1945, Archives communales de Verneuil-sur-Seine, cote 1K2

    • Procès-verbal de l’installation du conseil municipal du 18 mai 1945, Archives municipales de Verneuil-sur-Seine, cote 1K2

    • A peine installée, la municipalité, et plus particulièrement le nombre de conseillers municipaux, est contestée par le Préfet du fait d’un imbroglio sur le nombre d’habitants et donc sur le nombre de conseillers. La commune a pris en compte la population du pensionnat Notre-Dame, professeurs et élèves, alors que cette population était auparavant comptée à part… Le conseil municipal après examen, estime que « le recensement de 1936, en ce qui concerne Verneuil, était faussé du fait du vote des femmes, tout le personnel féminin majeur du pensionnat ayant naturellement voté ».

      Alors, par solidarité avec les conseillers dont l’élection est contestée, le conseil municipal décide à l’unanimité de démissionner.

    • De nouvelles élections sont donc organisées les 19 août et 2 septembre 1945. François Pons mène cette fois une liste intitulée « liste d’Union républicaine, démocratique et sociale ». A l’issue des opérations électorales auxquelles ne se représente pas Marguerite Coeuillet, mesdames Déjardin et Leroux sont réélues membres du conseil municipal. Denise Déjardin est élue au poste d’adjoint supplémentaire à cette occasion et fut réélue à ce poste en 1947.

      Cette femme, membre du Comité Local de Libération, fut également décorée de la médaille d’argent de la Reconnaissance française pour faits de résistance. Une fois la paix revenue, elle s’investit toujours dans le domaine social en transformant le château des Groux en maison d’accueil pour des enfants juifs hongrois en liaison avec l’œuvre de protection des enfants juifs (OPEJ), mais aussi par la création d’un centre de plein air pour occuper les petits Vernoliens pendant les vacances.

      Au final, si de nombreuses femmes sont présentes sur les listes de candidats de 1945, peu seront élues au sein des conseils municipaux (environ 3% des postes au niveau national) et encore moins deviennent maire. Les différentes sources s’entendent autour de quelques dizaines sur plus de 38000 communes à l’époque. En effet, les statistiques du ministère de l’Intérieur ne commencent à recenser les femmes élues qu’en 1947.

      Lors des dernières élections municipales de 2020, 42% des conseillers et 20% des maires sont des femmes.