Le mérite dans la fonction publique : un concept ancien, une nouvelle dynamique ?
La réforme de la fonction publique, prévue pour septembre 2024, visait à instaurer une rémunération "au mérite". Cette nouvelle approche devait remplacer, en partie, l'ancienneté comme critère principal de promotion. L'objectif ? Valoriser les compétences individuelles et dynamiser les carrières.
Le concept de mérite est défini comme la valeur professionnelle des agents publics. Celle-ci est évaluée au cours de l'entretien professionnel annuel, une procédure rendue obligatoire et qui a remplacé la notation individuelle depuis le 1er janvier 2015. Ce changement reflète un effort continu pour moderniser la gestion des ressources humaines dans le secteur public, en mettant davantage l'accent sur la reconnaissance des compétences et des performances individuelles.
La notion de valoriser le mérite au sein de la fonction publique n'est pas une idée nouvelle. Depuis déjà plusieurs années, des initiatives variées et des dispositifs réglementaires ont été mis en place pour encourager et reconnaître le mérite des agents publics. Ces pratiques incluent des systèmes de rémunération basés sur la valeur professionnelle ainsi que des dispositifs favorisant la progression de carrière des agents méritants.
La prise en compte du mérite dans la progression de carrière
La progression dans la carrière inclut les différents avancements et promotions statutaires ainsi que l’accès à des emplois hiérarchiquement supérieurs ou à responsabilité.
La progression statutaire
Depuis l'introduction du cadencement unique et la suppression des avancements à l'ancienneté minimale ou maximale, les avancements d'échelon sont automatiquement accordés en fonction de l'ancienneté. Cependant, la valeur professionnelle peut être prise en compte pour un avancement accéléré, à condition que les statuts particuliers des corps ou cadres d'emplois le prévoient, avec certaines modalités de contingentement. Actuellement, aucun cadre d'emplois de la fonction publique territoriale ne permet cela. La prise en compte de la valeur professionnelle des agents et de leurs acquis d'expérience professionnelle ne s'applique, pour le moment, qu'à l'avancement à l'échelon spécial.
En revanche, la valeur professionnelle demeure le critère principal pour l'établissement du tableau d'avancement de grade au choix. Ce critère est décisif pour départager les agents promouvables et établir un classement par ordre de mérite. Les nominations sont faites selon cet ordre établi par le tableau d'avancement.
Il en va de même pour la promotion interne. Cette forme de progression de carrière repose sur la valeur professionnelle de l'agent, qui est un élément clé dans l'établissement des listes d'aptitude sans examen professionnel.
Les promotions ne dépendent plus seulement de l'ancienneté, mais aussi des compétences acquises, des performances démontrées et de l'engagement professionnel.
Cette approche, plus méritocratique, incite les agents à exceller et à se distinguer par leurs réalisations.
L'accès à des postes supérieurs
Les postes à responsabilité au sein de la fonction publique ne sont pas uniquement attribués en fonction du grade de l'agent. Ils sont également accessibles aux fonctionnaires qui ont montré des compétences spécifiques, un leadership avéré et un engagement fort envers leur mission. En valorisant le mérite selon ces critères, l'autorité territoriale offre des perspectives de carrière aux agents capables de remplir efficacement les missions et les objectifs fixés.
L'accès à de nouveaux postes ou la possibilité d'en occuper s'accompagne généralement d'un renforcement de la formation. Celle-ci permet aux fonctionnaires de développer de nouvelles compétences, de se spécialiser, et de s'adapter aux évolutions constantes de leur environnement professionnel. Les agents investis dans leur développement personnel et professionnel sont souvent ceux qui bénéficient le plus des opportunités de promotion et d'avancement, renforçant ainsi le lien entre mérite et progression de carrière.
Même si la reconnaissance du mérite ne conduit pas toujours à une augmentation salariale, la compensation financière reste une des principales motivations des agents.
La prise en compte du mérite dans la rémunération
La prise en compte du mérite pour déterminer la rémunération d’un agent public est un concept ancien, existant bien avant l’application des lois statutaires de 1983 et 1984. En effet, de nombreux employeurs avaient déjà instauré des primes fondées sur le mérite. Certains ont choisi de conserver ces primes en tant qu'avantages collectivement acquis, tandis que d'autres les ont
intégrées dans le régime indemnitaire prévu par la réglementation statutaire.
D’autres primes ont été mises en place pour valoriser la performance et la manière de servir des agents. Par exemple, le mérite de l'agent a été pris en compte dans la part "résultat" de la Prime de Fonction et de Résultat (PFR), dans la part "performance" de l'Indemnité de Performance et de Fonctions (IPF), ainsi que dans le calcul de la prime de service pour la filière sociale, entre autres.
Aujourd'hui, d'autres dispositifs existent pour reconnaître le mérite individuel ou collectif des agents publics.
La prime d'intéressement à la performance collective des services
La prime d’intéressement est une forme de valorisation du mérite dans la fonction publique, visant à récompenser l'efficacité collective d'un service ou d'une équipe. Elle est attribuée en fonction de l'atteinte d'objectifs communs, tels que l'amélioration de la qualité des services rendus aux usagers, l'optimisation des processus internes, ou la réalisation de projets spécifiques. Un agent peut être exclu de cette prime uniquement en cas d'insuffisance professionnelle caractérisée
ou d'absence effective dans le service. Le montant maximal de cette prime individuelle est de 600 euros par an.
L'objectif principal de la prime d’intéressement est de promouvoir une dynamique positive et de renforcer la cohésion au sein des équipes en mettant l'accent sur le travail collectif.
Cependant, pour éviter des déséquilibres d'effort au sein des équipes, il est essentiel de reconnaître également le mérite individuel qui contribue à améliorer la performance globale.
Le Complément Indemnitaire Annuel (CIA)
Le CIA est une prime versée aux agents publics éligibles au Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l'Expertise et de l'Engagement Professionnel (RIFSEEP) pour reconnaître leur engagement et leur performance. Cette prime récompense les agents dont les résultats répondent ou dépassent les attentes et qui apportent une contribution significative aux objectifs fixés par leur supérieur hiérarchique. En mettant en place cette prime, l'autorité territoriale reconnaît le mérite individuel tout en encourageant les fonctionnaires à aligner leurs efforts sur une stratégie commune.
Le juge administratif a récemment rappelé que seules les évaluations liées à la valeur professionnelle peuvent être utilisées pour apprécier l'engagement et la manière de servir d’un agent en vue de l'attribution du CIA (Tribunal administratif de Rouen, 20 février 2024, n°2202823).
Pour les agents dont le cadre d’emplois n’est pas éligible au RIFSEEP, une part variable basée sur leur valeur professionnelle est prévue. C’est le cas, par exemple, des agents de police municipale qui peuvent bénéficier de la nouvelle indemnité spéciale de fonction, prévue par le décret du 26 juin 2024, qui comprend une part variable tenant compte de l’engagement professionnel et de la manière de servir.
L’existence de dispositifs indemnitaires prenant en compte le mérite, qu’ils soient collectifs ou individuels, soulève la question de la nécessité d'introduire de nouveaux mécanismes. Ne serait-il pas plus pertinent de renforcer les dispositifs existants et de garantir leur mise en oeuvre effective ?
Quoi qu’il en soit, le projet de réforme de la fonction publique, initié par le précédent gouvernement et visant notamment à renforcer la rémunération au mérite, est à ce jour "ni maintenu, ni abandonné", d'après la déclaration du nouveau Ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique.