Histoire de cloches en Yvelines pendant la Seconde Guerre Mondiale
Le 8 mai 1945, à 15h00, les cloches de toutes les églises sonnent officiellement la capitulation allemande signifiant la fin de la Seconde guerre mondiale. La population laisse éclater sa joie.

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Un silence imposé : les cloches muettes sous l’Occupation
Pendant la guerre, en particulier sous l’Occupation allemande, l’utilisation des cloches a été très strictement encadrée. Leur usage était limité à des fonctions religieuses et funéraires, elles ne sonnaient plus pour les fêtes nationales ou civiles, ni pour les mobilisations populaires.
Leur silence marquait symboliquement la mise en veille du pays.
Le tocsin ne retentit plus. La voix du clocher se tait comme la République.
Poème La Rose et le Réséda, publié en 1943
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Réquisitions de cloches : un métal pour la guerre
A partir de 1941, les autorités allemandes, avec la collaboration du régime de Vichy, ont procédé à l'inventaire et à la saisie des cloches des églises, en les classant selon leur valeur historique et artistique. Les cloches jugées moins précieuses étaient fondues, tandis que celles de grande valeur pouvaient être stockées en attente de décision.
Ainsi, entre 1942 et 1944, de nombreuses cloches furent réquisitionnées par les autorités allemandes pour fondre leur bronze et produire du matériel militaire, surtout des munitions, et participer à « l’effort de guerre ».
Certaines de ces cloches n’ont pas été refondues au final et ont pu être retrouvées après la guerre, notamment dans le port de Hambourg, et restituées à leurs communes d'origine.
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Wikimedia Commons, By Bundesarchiv, Bild 183-H26751 / Unknown author / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0
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Archives communales de La Queue-Les-Yvelines, extrait du document coté en 3D27 Pour échapper à ces réquisitions, certaines communes ont caché ou enterré leurs cloches pour les sauver, notamment dans les campagnes de Seine-et-Oise.
La cloche de l’église Saint-Nicolas située à La Queue-Lez-Yvelines n’a pas eu cette chance. Elle a subi le sort de ces cloches disparues pendant la guerre.
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Le retour des cloches : une libération sonore
Le 8 mai 1945, à 15h00, les cloches de toutes les églises sonnent officiellement la capitulation allemande signifiant la fin de la Seconde guerre mondiale. Le carillon de fête remplace le glas et la population laisse éclater sa joie. On retrouve des témoignages de cloches brisées ou fêlées sous l’émotion ou l’intensité des sonneries à la Libération sur tout le territoire français.
Le petit village de La Hauteville, 150 âmes environ, n’y fait pas exception. C’est ce que nous apprend la dédicace gravée sur la cloche Charlotte Victoire dont la sœur aînée a été « fêlée le 8 mai 1945 dans la joie de la victoire ».
En réalité, cette dernière avait déjà été endommagée dès 1944 par des habitants à grands coups de marteaux, lors de la Libération des villes du sud des Yvelines. Cloche qui n’était pas accrochée dans le clocher mais reposait dans l’église à ce moment-là.
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On imagine aisément l’enthousiasme et la joie des français à l’annonce de cette capitulation.
Une cloche qui se fend "dans l’allégresse de la victoire" est ainsi à la fois une image forte et une anecdote authentique dans de nombreuses communes.
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Les cloches de la paix retrouvée : baptême des nouvelles voix
Ainsi pour remplacer la cloche fêlée de l’église de La Hauteville, une nouvelle cloche a donc été fondue.
L’absence de mention du coût de cette nouvelle fonte dans les registres de délibérations des communes de la paroisse nous laisse supposer que son coût ait été supporté uniquement par la longue liste des généreux donateurs dont l’inscription orne les flancs de Charlotte Victoire.
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Nous y retrouvons notamment ses parrain et marraine, respectivement Charles Baldwin Mac Daniel (industriel américain propriétaire du château de Grandchamp) et Jacqueline Patenôtre (conseiller général du canton de Dourdan-Sud de 1945 à 1967).
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Ainsi, Charlotte-Jacqueline Victoire la bien nommée, cloche de 882 mm et 400 kg est bénite le 7 juillet 1946 dans la petite église Sainte-Madeleine de La Hauteville, en présence de ses parrain et marraine et de ses autres donateurs.
Ce jour-là est un jour de fête pour tous les habitants de la paroisse de La Hauteville et des villages alentours, Grandchamp et Le Tartre-Gaudran. Des petites cartes souvenirs ont été distribués, peut-être même des sachets de dragées comme c’est le cas lors d’un baptême traditionnel.
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La longue liste de noms des donateurs illustre l’engouement et la générosité des yvelinois à retrouver une vie la plus normale possible, vie rythmée par le carillon de la cloche de leur église.
Dédicace gravée sur Charlotte Victoire :
Nommée Charlotte Victoire par mon parrain Charles BALDWIN MAC DANIEL et ma marraine Mme Jacqueline PATENOTRE Cons. gle et remplaçant ma sœur aînée fêlée le 8 mai dans la joie de la Victoire j’ai été bénite le 7 juillet par Mgr Roland GOSSELIN assisté de monsieur le Chanoine BERNET curé doyen de Montfort l’Amaury et de m. l’Abbé TOUTAIN curé de la paroisse en présence de mm. Henri JOUGLAIN maire de La Hauteville Maurice VENARE maire de Grandchamp et Pierre BIEUVILLE maire du Tartre Gaudran Je dois mon existence surtout à la générosité de m. BEAUQUESNE conseiller général m. le commandant de l’école militaire enfantine Hériot Jacqueline et Jean Pierre BOISSON m. et mme FAVRE mme Maria FILLON mlle Marthe FILLON mr mme GANACHAUD m. Gaston LANGRONNE mme MOREL mr André MONTCEAU
Sources : Archives communales de la Hauteville, cote 1R13
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Dans le village de La Queue-Lez-Yvelines, comme pour Charlotte Victoire à La Hauteville, la cloche remplaçant celle enlevée par les allemands a été offerte par de généreux donateurs mais dans ce cas, il s’agit d’un seul et unique couple, les époux RUSTERHOLTZ, famille habitant la commune, à l’occasion de la naissance de leur 5ème enfant.
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Archives communales de La Queue-Les-Yvelines, cote 3D27
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Dédicace gravée : Je m’appelle Jeanne Marie Louise. J’ai été offerte par Mr et Mme Hubert RUSTERHOLTZ à l’occasion de la naissance de leur 5ème enfant, l’Abbé Paul LAURENT, étant curé et Mr Marcel BOUQUET étant maire de La Queue. J’ai eu pour marraine Mme Jeanne Marie RUSTERHOLTZ et pour parrain Mr Louis BAILLY.
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Jeanne Marie Louise a été baptisée en octobre 1947, elle aussi par Mgr Roland GOSSELIN, l’évêque de Versailles. Le document d’archives nous indiquant ces diverses informations nous précise que Jeanne Marie Louise a été fabriquée dans une fonderie de Versailles.
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La cloche reste un repère sonore dans le paysage rural, associée au rythme de la vie : naissance, mort, travail, messe, guerre, paix. Et dans les années qui ont suivies la fin du conflit, entendre de nouveau le son de ces cloches est alors perçu comme une renaissance du lien social, du temps civil et des valeurs républicaines.